La chaleur de l’été brésilien s’étale sur vous comme une couverture chauffante dans une chambre où le chauffage aurait déjà été allumé. Elle vous ouvre tous les pores et vous fait suer à des endroits que vous ignoriez qu’il étaient possible de transpirer. Heureusement, Ilha Grande est couverte de forêt et propice à la randonnée à l’ombre des arbres de la forêt atlantique et pour commencer gentiment, j’ai décidé de me lancer sur les chemins du « Circuit d’Abraão », une randonnée facile, parfaite pour les non-initiés et les familles avec enfants.
Les ruines impériales
La marche commence dès le port, on longe la côte est avant d’arriver à Praia Preta (la plage noire) qui n’est pas vraiment noire mais de sable ocre zébré de sable de couleur anthracite. Toute cette partie de la côte d’Ilha Grande est ainsi, on dirait que des peaux de tigres ont été jetées tout le long des plages. Pour ceux qui ne veulent pas trop s’éloigner du village, Praia Preta est la première plage où on peut se baigner avec quiétude (certains le font à Abraão, à côté des bateaux mais moi, bof-bof). Ne vous précipitez pas sur la première partie de la plage, le fond un peu vaseux est glissant et il y a quelques rochers. C’est à ce niveau que commence véritablement le sentier. Plus que pour la partie « nature », le circuit d’Abraão vous emmène vers le passé d’Ilha Grande, du temps de l’Empire brésilien.
Toute proche de Rio, l’île servait de lieu de quarantaine pour ceux qui arrivaient malade au Brésil. Un « lazaret » y avait été construit, ainsi que des habitations pour les proches des malades qui souhaitaient s’occuper d’eux. De cette époque, il ne reste qu’une allée de palmier impériaux, palmiers que Dom Pedro, empereur du Brésil, affectionnait particulièrement. A présent, ils sont complètement noyés par la forêt, certains ont étouffés et je ne donne pas cher de la peau des autres. D’hôpital, le lazaret fut transformé en prison pour les cas criminels les plus sérieux, et plus tard, pour les prisonniers politiques. Les conditions y étaient déplorables ! Chaleur, piqûres d’insectes, maladies… on n’hésitait pas non plus à enfermer les prisonniers les plus difficiles dans de petites cellules placées en, bords de mer et qui se remplissaient d’eau à la marée. Un peu plus tard, une autre prison sera construite, à Dois Rios, de l’autre côté de l’Île.
Lorsque l’hôpital ferme, c’est une prison qui prendra sa place. En plus des prisonniers de droit commun, quelques dissidents (des révolutionnaires ou des communistes) y seront emprisonnés. Devenue vétuste, la Lazareto sera fermé et démoli en 1954 et les prisonniers transférés à l’autre prison de l’Île : la prison Candido Mendes à Dois Rios, tout à l’opposé de l’île. Les criminels les plus endurcis y seront emprisonné ainsi que, à nouveau, des prisonniers politiques. Prison de sécurité maximum, elle était surnommée les « chaudron du Diable » et fut en fonction jusqu’en 1994 et à sa fermeture, la plupart des bâtiments furent dynamités et quasi toutes les familles qui gravitaient autour de la prison, sauf celles qui souhaitaient rester, furent évacuées. Et si ce passé est plutôt glauque, c’est grâce à ce status d’île-prison qu’elle fut préservée, et rendue plus ou moins intacte pour continuer son histoire en tant qu’île ouverte au tourisme raisonné.
Pour en savoir un peu plus sur la colonie pénale de Dois Rios, un peu de lecture sur le témoignage d’un ex-prisonnier.
Et c’est à peu près tout ce qui subsiste du lazaret-prison. Tout le reste a été rasé. Le seul témoin en bon état du passé d’Ilha Grande, c’est l’aqueduc. Une élégante structure qui traverse la forêt pour apporter l’eau nécessaire. A ce point là, le sentier commence à monter pour atteindre une piscine naturelle. Dans mes souvenirs, c’était un lieu digne de figurer dans des représentations du paradis. Sous la lumière verte et dorée, des dizaines de papillons s’étaient envolés à notre approche. Florian, avec ses cheveux blonds et son corps bronzé, aurait pu faire figure de jeune dieu, chaque rayon du soleil faisant filtrant à travers la canopée semblaient l’illuminer. Un peu plus bas dans la piscine, deux gamins s’amusaient comme des petits fous. L’eau en était fraîche, bienfaisante après une balade sous le soleil de l’après-midi et le dos bien calé sur des pierres, au frais, nous avions discuté de tout et de rien. J’essayais d’oublier que je partais en début de soirée.
Mais quand j’arrive à la piscine, la vue me tire de mes souvenirs, violemment. Il doit y avoir une quinzaine de personne. Ça crie et ça se bouscule dans l’eau. Et tout à coup, je suis prise d’une espèce de haine irrépressible, comme si j’assistais au viol d’un sanctuaire. Je vais quand même faire trempette, histoire de ne pas être venue pour rien, mais je ne reste qu’une quinzaine de minutes. Cinq pour m’y baigner et 10 pour me sécher.
Paradis en danger ?
Le reste du circuit vous emmène encore un peu plus en hauteur, vers des coins plus calmes. En vous perchant sur un rocher, vous aurez une jolie vue sur la baie et l’après-midi, l’eau prend une couleur turquoise foncé presque irréelle. Le reste du chemin, ça redescend tout lentement, avec la plage en contrebas qui vous donne envie de vous presser pour vous jeter à l’eau. Une fois revenue au point de départ, je recommence le sentier… avant de prendre un embranchement que j’avais aperçu tout à l’heure, un petit sentier qui mène vers deux autres plages, prolongement de Praia Preta. Et là, ô surprise, il n’y a presque personne ! On trouve des arbres pour s’abriter, une eau calme et claire pour se baigner… la plage est étroite, mais plus que suffisante mais attention, il n’y a pas de bar, ni de vendeurs, ne pas oublier de quoi prendre à manger, et surtout à boire.
Ouvrez aussi les yeux et les oreilles car le chemin passe à côté d’un lieu où des singes hurleurs ont élu domicile. C’est assez surprenant ! Au début, je pensais qu’il s’agissait de grenouilles (la rivière n’est pas loin) mais les cris étaient beaucoup trop fort, jusqu’à ce que je remarque des formes noires s’agitant dans les arbres. A travers le zoom de mon appareil photo, je vois une bande de singes, m’observant depuis les branches, et me hurlant furieusement dessus… Puisqu’on ne voulait pas de ma présence, je m’étais éclipsée vers la plage. Depuis mon petit coin isolé, j’avais tout le loisir de contempler quelque chose qui était beaucoup moins paradisiaque : le gros bateau de croisière qui avait jeté l’ancre dans la baie depuis ce matin. Je n’aurai pas imaginé qu’Ilha Grande donnerait son accord pour avoir un débarquement régulier de milliers de touristes. Ce n’est heureusement pas le plus gros de la flotte, mais je me demande dans quelle direction va mon paradis, censé être en majorité protégé.
Envie de prolonger votre balade ? Après la première moitié du circuit, vous trouverez un embranchement vous conduisant à une cascade : la Cachoeira da Feiticeira et plus loin encore, la plage du même nom.
Et voici la carte.
J’ai une soudaine envie de vacances au soleil…