Visiter Jelgava, ville martyre et mal aimée

Visiter Jelgava ne va pas de soi. Dans certains guides, la quatrième plus grande ville de Lettonie est décrite comme défigurée par une histoire qui ne lui a pas fait de cadeau, et dispensable, ou alors comme simple base pour se rendre au merveilleux château de Rundāle tout proche. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité. Lectrice, Lecteur, tu connais mon goût pour les villes qu’on appelle « moches ». Il fallait que j’aille voir ! Et au-delà des clichés, Jelgava cache quelques belles surprises.

A propos de Jelgava

La Lettonie ayant un réseau de chemins de fer centralisé sur Riga, il faut obligatoirement passer par la capitale pour rejoindre Jelgava en train. J’ai donc tout le loisir de m’informer pendant la durée des trajets. L’histoire avait pourtant bien commencé pour Jelgava ! Elle naît au bord de la Lielupe, le fleuve qui se jette dans la mer Baltique à Jūrmala où, quelques jours plus tôt, j’avais pu admirer des kayakistes en plein effort. Une fois de plus, c’est à l’ordre des chevaliers livoniens que l’on doit la fondation de la ville, au Xe siècle, avec la construction d’un château sur une île, Pilssala. Jusqu’en 1917, la ville qui se développe autour du château est d’ailleurs connue sous le nom allemand de Mitau. Elle prospère, grandit et devient la capitale du duché de Courlande et de Sémigallie.

C’est dans les dernières années du duché que Jelgava rayonne, avec une cour et une vie intellectuelle particulièrement raffinées. L’avant-dernier duc, Johann von Biron, y fait construire le palais ducal et son fils, Peter, l’Academia Petrina, qui restent les deux grands phares touristiques de la ville. À la suite de la troisième partition de la Pologne, à laquelle le duché était lié, celui-ci est annexé par l’Empire russe.

Avec la révolution industrielle et l’arrivée du train, Mitau–Jelgava continue de se développer et devient un centre important jusqu’à la Première Guerre mondiale, dont elle ne ressort pas indemne. Elle prend son nom définitif de Jelgava après la première indépendance lettone, durant l’entre-deux-guerres. C’est la Seconde Guerre mondiale qui va dévaster la ville. Véritable champ de bataille entre les armées soviétiques et allemandes, son centre historique est détruit à 90 % et, contrairement à de nombreuses villes de Pologne toute proche  (comme Gdańsk), elle ne sera pas reconstruite à l’identique, mais à la va-vite, par les nouveaux maîtres de la Lettonie : l’URSS. C’est ce visage-là que je découvre, à peine descendue du train.

Premières impressions de Jelgava

Arrivée en début d’après-midi, je me dépêche de déposer mes bagages à l’hôtel pour partir à la découverte de la ville : je n’ai que deux nuits pour en voir l’essentiel. Premier arrêt : l’office du tourisme, histoire de glaner quelques informations supplémentaires. Et je dois dire que, jusqu’ici, Jelgava correspond à sa peu flatteuse réputation. Je croise de nombreux bâtiments construits dans les années 1950-1960, de style soviétique, tristes et sans grâce. Utilitaires, dirons-nous.

Il faut dire qu’après la guerre, l’URSS a implanté ici de nombreuses usines et il n’y a même pas besoin de le savoir pour avoir l’impression de se promener dans une cité-dortoir. Même la rue piétonne du centre-ville, que l’on a essayé d’égayer, peine à séduire, malgré ses nombreuses vasques fleuries. Au moins, l’office du tourisme est installé dans ce qui subsiste d’un bâtiment historique : l’ancienne église de la Sainte-Trinité, dont la tour a résisté aux bombardements. Commandée par le duc Gotthard Kettler en 1574, elle est la première église protestante construite en dur. Son clocher blanc est l’un des symboles de la ville et, petit secret, il abrite depuis peu un restaurant, le 8. Stāvs, offrant une vue imprenable sur Jelgava.

Tour de l’église de la Sainte-trinité (Jelgavas Svētās Trīsvienības baznīcas tornis)

Akadēmijas iela 1

Le grand musée de la ville : l’Academia Petrina – Musée d’art et d’histoire de Jelgava Ģederts Eliass

Grandement endommagée par la guerre, l’Academia Petrina a été restaurée et reste, avec le palais des ducs de Courlande, l’un des rares bâtiments historiques de la ville. L’académie naît d’une idée de Friedrich Wilhelm von Raison, qui parvient à convaincre le duc Peter de l’intérêt d’ouvrir une université à Mitau. Mais le duché, gouverné par un duc protestant, est alors lié à la catholique Pologne et seule une bulle papale peut autoriser la création d’une université. Le pape n’allait évidemment pas donner son accord. Le projet est donc abandonné et l’établissement devient un « gymnasium » (au sens allemand du terme), un établissement d’enseignement, fonction qu’il conserve jusqu’à la guerre.

Aujourd’hui, l’Academia Petrina abrite le musée Ģederts Eliass d’art et d’histoire de Jelgava, Eliass étant un peintre local majeur du XXe siècle, dont les œuvres représentant la vie rurale font partie du canon letton. Le rez-de-chaussée est consacré à l’histoire prestigieuse et tourmentée de la ville, tandis que les étages présentent une exposition permanente retraçant l’histoire de l’art à Jelgava, ainsi qu’un espace dédié aux expositions temporaires d’art contemporain local. Il est conseillé de se munir d’un outil de traduction, de nombreuses informations n’étant disponibles qu’en letton, ce qui peut s’avérer un peu frustrant, même si quelques feuillets en anglais sont présents dans certaines pièces.

Academia Petrina – Musée d’art et d’histoire de Jelgava Ģederts Eliass (Ģ. Eliasa Jelgavas vēstures un mākslas muzejs)

Akadēmijas iela 10

Le palais ducal, digne d’un (futur) roi

Le monument le plus important de Jelgava reste toutefois le palais des ducs de Courlande et de Sémigallie. Son histoire remonte aux origines mêmes de la ville, lorsque les chevaliers de l’ordre livonien décident de bâtir un château sur l’île où se dresse aujourd’hui le palais. Après la disparition de l’ordre, il devient la résidence des ducs. Au XVIIIe siècle, Ernst Johann Biron décide de raser l’ancien château pour édifier un palais plus représentatif de son prestige. Il fait appel à Francesco Bartolomeo Rastrelli, architecte italien au service de la cour de Russie. Même s’il ne s’agit pas de sa plus grande œuvre, le palais demeure le plus vaste édifice baroque du pays.

Outre les appartements ducaux, la cour et les logements du personnel, une crypte est aménagée dans les sous-sols. Une trentaine de membres des dynasties Kettler et Biron y reposent. En 1795, le duché est vendu à la Russie et le palais devient le centre administratif de la province. Il accueille même un hôte inattendu : le comte de Provence, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII, qui y séjourne durant son exil.

Le palais est ensuite incendié et endommagé à plusieurs reprises, notamment en 1919 lors de la guerre civile russe, où toute la décoration rococo est détruite. Les bombardements de la Seconde Guerre mondiale aggravent encore les dégâts. Reconstruit à l’époque soviétique, le bâtiment devient le siège d’une université spécialisée dans l’agriculture, fonction qu’il conserve aujourd’hui sous le nom de Latvia University of Life Sciences and Technologies.

C’est donc une foule d’étudiants que je croise dans la cour centrale. Une énergie familière, une effervescence que je reconnais immédiatement, même après vingt-cinq ans loin des bancs de l’université. Curieuse, je m’aventure dans les couloirs : une salle de cours en Lettonie ressemble finalement à toutes les autres… sauf que pour y accéder, on se balade dans de prestigieux couloirs !

Palais de Jelgava (Jelgava Pils)

Lielā iela 2

Les abords du fleuve

Si Jelgava a quelque chose pour elle, c’est bien la Lielupe, ce grand fleuve qui la traverse paresseusement. S’y promener est particulièrement agréable. Près du pont qui mène à Pilssala (« l’île du château ») se trouve l’une des mascottes de la ville : l’étudiant au parapluie, une sculpture en bronze représentant un jeune homme dont le parapluie troué rappelle les années où l’on était jeune et fauché. Face à Pilssala se trouve Pasta Sala, une autre île dédiée aux loisirs, dotée d’un grand parc, de jeux pour enfants et d’une salle de concert… Un lieu très agréable pour prendre l’air !

Les plaines inondables de la Lielupe

Mais le vrai trésor de Jelgava se cache derrière le palais ducal. Promenez-vous le long du fleuve pour rejoindre le yacht-club de la ville (et son drôle de petit sauna installé dans une roulotte). La route asphaltée se transforme bientôt en sentier champêtre. Nous sommes ici dans des plaines inondables lors des crues du fleuve. Zone classée Natura 2000, c’est un écosystème bien particulier qui est préservé, notamment la flore, les oiseaux, les batraciens et les insectes.

Pendant que je me promène, je me dis que le lieu doit être magnifique au printemps et que les fleurs y sont sans doute innombrables. Le calme n’est troublé que par les cris des canards et ceux d’un groupe d’enfants rentrant d’une sortie scolaire. Très vite, je me retrouve parfaitement seule. Il fait beau et doux, le vent qui soufflait depuis plusieurs jours s’est un peu apaisé : parfait pour une promenade.

Comme souvent sur les sentiers-nature, il ne faut pas en sortir, sous peine d’endommager l’environnement que l’on visite. Et comme nous sommes dans les pays baltes, une tour d’observation est presque obligatoire : c’est bien le cas ici. Je grimpe donc pour admirer le panorama. Le fleuve s’étend devant moi dans la lumière d’un matin d’octobre, large et argenté. Au loin, la silhouette du palais, puis celle de la ville, et tout autour, du vert à perte de vue : on dirait une oasis.

J’aurais pu redescendre et m’arrêter là, mais le but de ma promenade n’est pas encore atteint. Au bout de la réserve se trouve ce que je suis venue voir spécifiquement : les koniks de la Lielupe. Les koniks sont de petits chevaux semi-sauvages, une race ancienne et rustique que l’on trouve encore en Pologne mais qui était autrefois plus répandue. Courts sur pattes, trapus et dotés d’un poil épais, ils sont parfaitement adaptés aux hivers rigoureux de cette région d’Europe.

Un petit groupe a été installé ici avec pour mission l’entretien des plaines grâce à leur broutage. Ils s’y sont plu, s’y sont multipliés et sont aujourd’hui plusieurs dizaines. Bien qu’ils disposent d’un enclos et d’un gardien, celui-ci n’est pas fermé et les chevaux circulent librement. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille faire n’importe quoi : ils restent semi-sauvages. Si vous décidez d’aller les voir, Lectrice, Lecteur, ne les approchez pas et ne leur donnez rien. Ils ont tout ce qu’il leur faut. S’ils viennent à vous, pas de souci, mais on ne sollicite pas l’interaction.

Munie de ces informations, je m’approche de l’enclos pour les observer. Et ils sont superbes. Leurs robes lustrées brillent sous le soleil, allant du platine au noir, avec des crinières de couleurs variées. Un cheval gris peut avoir une crinière noire, un noir une crinière couleur feu… Je les trouve particulièrement paisibles pour des semi-sauvages, même si certains se montrent un peu curieux. Les plus aventureux sortent de l’enclos, sans vraiment prêter attention à moi. Je ne les ai pas incités à venir, mais certains s’approchent tout de même avant de reprendre leur chemin, me laissant le temps de les photographier complaisamment.

Cela a fait ma journée. Et si, malgré mes conseils, vous n’avez pas accroché à Jelgava, ces chevaux suffisent à « sauver » la ville.

Plaines inondables de la Lielupe

Pilssalas iela 5

Où dormir à Jelgava ?

Hotel Jelgava

Ambiance Belle Époque dans ce qui est sans doute le meilleur hôtel de la ville. Les chambres sont grandes, meublées de bois sombre, les tentures brodées et les lits très confortables. Il y règne un parfum de nostalgie, celui de la splendeur passée de Jelgava et de son boom industriel. Le café-restaurant vous emmène d’ailleurs dans un véritable voyage dans le temps. L’hôtel est en outre bien situé, à proximité de la Lielupe et du palais, et à quelques minutes à pied du centre-ville et de la gare de bus.

Hotel Jelgava

Lielā iela 6

Où manger ou boire à Jelgava

Pilsētas Elpa

Ambiance vacances dans ce café-restaurant installé sur Pasta Sala, juste à côté du pont. Pour profiter au maximum de la vue, de grandes baies vitrées occupent tout un pan de la salle et laissent entrer la lumière à flots. La décoration, moderne, décline le rouge et le blanc, couleurs de la Lettonie. Un chic un peu daté, certes, mais qui n’entame en rien la popularité du lieu. N’espérez pas obtenir une table près des fenêtres sans réservation. Comme beaucoup de cafés-restaurants en Lettonie, il ouvre tôt et ferme tard, avec une carte variée (la vitrine des desserts est particulièrement tentante). J’en ai profité pour poursuivre mes tests de jus d’argousier chaud : testé et approuvé, avec un service impeccable.

Pilsētas Elpa

Pasta sala 1

Chocolate & Pepper

À deux pas de la Maison de la Culture, ce café aux tons orange et chocolat invite à prendre son temps, que ce soit pour un chocolat chaud ou un repas complet. L’offre est large : soupes, salades, burgers, plats au wok, options végétariennes et spécialités lettones comme la joue de bœuf braisée ou le perche grillé. Attention, on s’y installe si confortablement qu’il devient difficile d’en repartir.

Chocolate & Pepper

Pilssalas iela 4

Comment se rendre à Jelgava ?

En train : depuis Riga, plusieurs liaisons directes par jour avec Vivi. C’est sans doute le moyen le moins cher et le plus confortable pour rejoindre Jelgava depuis la capitale, même s’il faudra probablement prendre un bus pour rejoindre le centre-ville. Malgré sa taille, Jelgava reste mal reliée aux autres villes du pays : le passage par Riga est quasi obligatoire.

En bus : depuis Riga et d’autres villes lettones, les liaisons sont fréquentes et desservent quasiment tout le pays. Horaires et billets via l’application Mobility ou le site 1188.lv.

Plus d'articles sur la Lettonie

Laisser un commentaire