Quelle joie de me retrouver à Tallinn, pour la 7ème fois en plus ! Ce n’est plus de l’amour entre la capitale estonienne et moi, c’est de la rage ! Et bientôt, je vais enfin découvrir le reste du pays. J’ai hâte ! Mais en attendant, même si je me suis fait un plaisir de retrouver la veille ville de Tallinn que je t’ai racontée ici et là, j’ai pris un énorme plaisir à me plonger dans ses quartiers hors des sentiers battus, alternatifs, ou des coins ignorés, mais surprenants, de la ville : Kalamaja, Telliskivi, Noblessner, Rotterman et Nõmme.
Kalamaja, la Tallinn en bois
Coincée entre la vieille ville et le port, Kalamaja a bien changé depuis ses débuts d’humble village de pêcheurs. Kalamaja veut d’ailleurs dire « la maison des poissons » en estonien. Ce grand quartier de Tallinn englobe également la gare, la Cité créative de Telliskivi et Noblessener. A l’origine peuplé essentiellement d’Estoniens (seuls les Germano-baltes pouvaient vivre à l’intérieur des murs de la vieille ville), le destin de Kalamaja va changer avec la construction de Balti Jaam, la gare de la Baltique, et l’arrivée du train qui reliera Tallinn à Saint-Pétersbourg. Très vite, des nombreuses infrastructures industrielles se construisent : les ateliers des chemins de fer, une usine de sous-marins, un hangar pour hydravions, etc. L’industrialisation allait s’accélérer peu après la première indépendance de l’Estonie.
Pour loger l’afflux de travailleurs, de nombreux immeubles à appartements, tout en bois, furent construits dès la fin du 19e siècle jusque dans les années 1930. Un style se dégage rapidement : la maison tallinnoise. Elle est facilement reconnaissable avec sa façade symétrique, son escalier central et son entrée en pierre, sa taille de deux-trois étages et ses toits mansardés. Si les ouvriers habitaient les étages inférieurs et ce qu’on appelle aujourd’hui les « souplex » abritaient des commerces, l’étage du haut était souvent réservé aux personnes éduquées mais désargentées.
L’autre style que l’on retrouve à Kalamaja est la « Maison de Lender » (du nom de l’ingénieur qui en dessinât les premiers exemplaires). Elles sont antérieures à la maison tallinnoise, également en bois, avec des portes en bois sculpté, un auvent en ferronnerie au-dessus de la porte d’entrée et une poutre de liaison décorée à l’extrémité du pignon qui supporte un petit toit pentu. Ces deux types de maisons contribuent à donner à Kalamaja un paysage urbain harmonieux. Pour mieux s’imprégner de l’ambiance, je vous invite à parcourir les rues Valgevase, Kalju, Kungla, Vana-Kalamaja et Niine.
Dans le quartier, juste en dehors de la ville, peut-être aurez-vous la chance d’être là quand se tient un évènement au Kultuurikatel, une ancienne centrale électrique transformée en hub culturel. Je n’ai pu l’admirer que de l’extérieur. A l’intérieur du complexe, vous trouverez aussi le centre de découverte sur l’énergie (parfait à visiter à famille) et l’EKKM, un espace d’exposition d’art contemporain qui n’ouvre que de mai à décembre. En continuant vers l’ouest le long de Kalaranna, vous tomberez sur la Prison de Patarei. Tour-à-tour base militaire, prison soviétique puis prison d’Etat, elle est en cours de rénovation et pourra être visitée à nouveau dès 2026 en tant que Musée des victimes du communisme. Un tout petit peu plus loin, se trouve le Lennusadam, l’ancien hangar à hydravion, devenu Musée maritime, un des meilleurs de la ville. Lui aussi en pleine rénovation, il a rouvert en mai 2024. J’en parlais d’ailleurs dans cet article.
Telliskivi et sa cité créative
Je me souviens bien de ce quartier jouxtant Balti Jaam, la gare, lors de mes deux premières visites. A peine 15 ans après l’indépendance, ce coin avait gardé un côté triste, gris et si pas dévasté, bien à l’abandon. Le marché de la gare existait déjà mais semblait ne pas avoir changé depuis l’époque communiste, tandis que la gare occupait un grand bâtiment de béton, imposant et sans grâce. Depuis, le Balti Jaama Turg (le marché couvert) s’est élevé de l’autre côté des rails et est devenu un endroit incontournable à Tallinn. A la fois marché, food court, brocante et lieu de rencontre, il fut un des points de départ du changement du quartier. Juste à côté, l’énorme espace occupé par les ateliers des chemins de fer et une ancienne usine soviétique continuaient de rouiller en silence.
En 2007, Jaanus Juss, un promoteur immobilier, voit tout le potentiel de tous ces bâtiments industriels de grande taille et met sur pied un projet de « ville créative ». Des institutions culturelles virent s’y installer, puis des artistes et artisan.e.s qui recherchaient un espace pour leurs activités. Telliskivi Creative City était née avec aujourd’hui quasi 300 locataires. Comment décrire ce lieu ? D’abord, tout est grand. Même si on peut considérer que le concept s’est étendu au-delà des murs des anciens ateliers (notamment du côté de Depoo, entre la gare et la Cité créative), le site est immense pour une ville de la taille de Tallinn et la taille des bâtiments l’est tout autant. Qu’y trouve-t-on ? Des ateliers d’artistes, des galeries d’art, des boutiques indépendantes (de la déco et des vêtements vintage à la boulangerie bio en passant par les concept stores et la mode), des organisations gouvernementales ainsi qu’une floppée de restaurants, de bars ou de cafés tous plus cools les uns que les autres. Pour les amateurs de street art, c’est un bonheur car les murs de Telliskivi sont quasi tous ornés d’œuvres de toutes sortes et de styles divers, formant une véritable galerie en plein air.
Le joyau de la couronne du complexe fut l’ouverture de l’antenne estonienne du Fotografiska, le célèbre musée suédois de la photographie contemporaine. Tout de briques orange foncé avec une boîte noire à son sommet, on ne peut pas louper le building où il se trouve, il est plus haut que les autres. Le musée n’a pas de collection permanente, mais programme en général une exposition de prestige et une autre plus alternative (dans mon cas, le photographe « pop » Miles Aldridge et le monde plus éthéré de Snezhana Von Büdingen-Dyba). Au rez-de-chaussée, vous y trouverez un chouette café où il fait bon déguster son cappuccino ou travailler sur son portable tandis qu’au 6e étage, on y trouve un rooftop bar… et un restaurant étoilé Michelin. J’aurai adoré tester le rooftop mais pas de chance, c’était le sol jour de mon séjour où la météo ne m’a pas souri (on va même dire qu’elle a bien pleuré). Du coup, et bien ce sera pour une prochaine visite !
Parmi les adresses à ne pas manquer à Telliskivi, pensez à F-Hoone, Peatus, Juniperium, Fika, Litteraat que vous pourrez retrouver l’article : Mes meilleures adresses à Tallinn.
Noblessener, un secret enfin dévoilé
Noblessener est l’un des derniers quartiers à avoir été rénové à Tallinn. Il commence juste à l’ouest du Lennusadam. Ce drôle de nom est en fait une combinaison des deux fondateurs d’un chantier naval spécialisé en construction de sous-marins : Emanuel Nobel (le neveu de l’inventeur de la dynamite et des fameux prix) et son associé, Arthur Lessner. A l’époque, l’Estonie faisait alors partie de l’Empire russe. Si la construction de sous-marins s’est arrêtée dès l’indépendance de 1918, le chantier naval a continué ses activités jusqu’en 2018. Sa transformation a donc pris très peu de temps. Ce quartier tourné vers la mer a vite su tirer parti des anciens bâtiments industriels tout en y intégrant des éléments d’architecture contemporaine. Des ateliers et hangars sont devenu musées (comme le Kai Art Center ou la Proto Invention Factory, une « usine à invention », devenue un des endroits préférés des enfants et ados tallinnois) ou même la meilleure microbrasserie d’Estonie. Ici, plus que tout ailleurs en ville, on sent que l’on est au bord de la mer grâce à la marina où baignent les bateaux. Curiosité que je n’ai pas eu la chance tester : les installations de l’Iglupark, qui se partagent entre logements insolites en forme d’igloos et en sauna sur le même modèle. Un peu cher, mais fun à tenter si vous avez le budget.
Noblessner étant un quartier fraîchement rénové avec une grosse part résidentielle, il peut quelque fois sembler un peu aseptisé. Il lui manque un peu la patine des années mais avec la marina, on s’y sent bien, surtout lors des longues soirées d’été.
Kopli, la mauvaise réputation
Nous voilà arrivés aux confins de Tallinn, Lectrice, Lecteur, sur la péninsule de Kopli. Le tram 6 vous y amène directement. Ici, se marient la tradition industrielle et maritime de Tallinn. On y trouve deux chantiers navals (le chantier naval russo-baltique et le chantier naval Bekker), l’Académie maritime estonienne et tout un patrimoine qui se partage entre industries, maisons ouvrières ou encore le « village des professeurs » et ses maisons en bois, le tout entouré par la mer sur 3 côtés. Après l’indépendance, le lieu fut largement laissé à lui-même, habités par les plus précaires habitants de la capitale. Il ne faisait pas bon y traîner, surtout le soir. Petit à petit, des investisseurs décident de rénover des bâtiments et le quartier a commencé à reprendre vie, même si y’a pas mal de boulot. L’un des exemples les plus surprenant est la Põhjala tehas, une ancienne usine… de caoutchouc. Sur le site de l’ancien chantier naval russo-baltique, cette usine s’est développée pour fabriquer des tas d’objets en caoutchouc : des tétines, des chaussures, des jouets…
Cet énorme espace qui était abandonné depuis la fermeture de l’usine connaît depuis 2019 une nouvelle vie, à peu près sur le modèle de Telliskivi ; place à la culture, aux artisans, aux évènements, à la fête et à quelques bonnes adresses comme une boulangerie artisanale, un bar caché dans la verdure, un autre sur le toit (que je n’ai pas vu pour cause de jour de fermeture) et un restaurant. Kopli est un quartier ou il faudra revenir encore et encore pour le voir évoluer au fur et à mesure que les projets de concrétisent.
J’aurai voulu découvrir plus que l’ancienne usine et prendre le temps de m’y promener (il faudrait une après-midi complète) mais la météo avait décidé de ne pas coopérer ce jour-là. Et c’est bien dommage !
Rotermann, expériences architecturales
« Encore un ancien quartier industriel ? » vas-tu me dire, Lectrice, Lecteur. Oui, mais celui-là est historiquement le premier à avoir été réhabilité. Les travaux ont duré longtemps mais semble enfin se terminer ici. Juste à l’extérieur du centre-ville, Rotermann était tout un ensemble d’anciens moulins, de centrales électriques, de fabriques de laine ou de bois. Rotermann doit son nom aux fondateurs de cette cité industrielle : Christian Abraham Rotermann et surtout son fils, Christian Barthold qui devint un grand entrepreneur. C’est d’ailleurs ce dernier qui fut la première personne à posséder une voiture en Estonie. Pendant l’ère soviétique, la vocation de « boulangerie industrielle » est restée. On y produisait du pain jusque dans les années 80.
Après quelques années après la chute de l’URSS, une fois l’indépendance retrouvée, Tallinn dessine un grand projet pour le quartier de Rotermann avec quelques lignes conductrices ; conserver le patrimoine original en le rénovant, tout en l’embellissant de gestes architecturaux contemporains et que la hauteur des bâtiments ne dépasse pas celle des silos à grain. Près de 30 ans après le début du projet, Rotermann ressemble maintenant à un quartier rétrofuturiste où on trouve, entre autres, le Musée d’architecture d’Estonie, des bars, des cafés, des restaurants, un centre commercial, un méga-complexe de cinéma et des appartements… Perdez-vous dans les allées entre ces grands bâtiments de briques et de pierres. L’atmosphère y est incomparable, mais surtout très photogénique !
Nõmme, un village dans la ville
Là, nous allons nous aventurer loiiiiiiin du centre-ville de Tallinn, dans un quartier qui mérite qu’on lui consacre de l’attention : Nõmme (prononcez « Neumé »). Situé au sud de Tallinn, y arriver est une petite aventure en soi puisque la meilleure façon de faire connaissance avec le quartier, c’est d’y arriver en train. L’occasion pour les amoureux du rail de tester les chemins de fer estoniens. Vingt minutes plus tard, je débarque dans une petite gare qui a gardé son look d’antan. Avec son horloge, sa pancarte de signalement et les ferronneries de son auvent, c’est un des symboles du quartier.
Nõmme a une histoire particulière. A l’origine, il s’agissait d’un village en dehors de Tallinn né de l’initiative d’un riche propriétaire terrien Germano-balte, Nikolaï von Glehn, vers la fin du XIXe siècle. Le village grandit à partir de la gare et fut finalement incorporé à Tallinn en 1940. Il est aujourd’hui un des arrondissements de la capitale. Figure tutélaire, la présence de von Glehn se fait sentir à travers bien des lieux ici.
Le premier endroit que l’on vient visiter ici, c’est le marché. Le marché de Nõmme existe depuis 1908. Cela fait donc plus de 100 ans que les producteurs locaux viennent y vendre leurs fruits, légumes, herbes, viandes et poissons, leurs fleurs et plantes ornementales ou pour le potager. Ouvert du lundi au samedi, le jour de ma visite en pleine semaine, tout était d’un calme olympien mais il flottait dans l’air une odeur que je vais souvent retrouver à travers l’Estonie : celle de l’aneth, qu’on met à toutes les sauces (dans les chips, les soupes, les salades …)
En plus des stands classiques, on y trouve aussi des petits restaurants et cafés… Impossible de résister : je tombe sur une boulangerie-pâtisserie dont la petite terrasse donne juste devant la fontaine du marché. Le temps de déguster un bon café et une espèce de chou à la crème, et c’est reparti !
Je ne vais pas tarder à rencontrer la statue de Nikolaï von Glehn. Dans un grand geste, il semble inviter les gens à venir visiter ce qui était ses terres. Von Glehn était plutôt excentrique. C’est lui-même qui a dessiné le plan de son propre château et dans le parc du château, y a fait élever deux statues géantes. Celle de Kalevipoeg, mythique héros estonien et d’un dragon (que tout le monde appelle « le crocodile », la ressemblance avec l’idée qu’on se fait d’un dragon n’est pas super-évidente). Le château von Glehn s’élève sur un petit promontoire et ressemble à un château médiéval écossais avec ses pierres gris pâle. S’il a l’air relativement neuf, c’est tout à fait normal. En ruines jusque dans les années 60, une longue restauration de plus de 10 ans pris fin en 1977. Le château est aujourd’hui la propriété de l’Université technologique de Tallinn qui le loue pour différents évènement (ou pour des tournages, comme ce fut le cas lorsque j’ai découvert le château). Il ne se visite donc pas. Le cimetière de la famille von Glehn se visite aussi, mais j’ai l’ai loupé ! N’y cherchez pas la tombe de Nikolaï. Il est mort loin de chez lui en 1923, au Brésil, alors qu’il y était venu pour soigner son fils malade. Son fils allait le suivre dans la tombe peu de temps après.
Sur le chemin du château, vous allez croiser le Nõmme Lumepark, un parc dédié aux sports d’hiver et au saut à ski (Nõmme est en effet très vallonnée… pour l’Estonie).
A partir du parc du château, prenez votre carte ou votre Google Map et dirigez-vous vers la tourbière de Pääsküla (ou prenez un bus jusqu’à l’arrêt Kauge). Et tout à coup, vous allez vous retrouvez dans une forêt de pins et de bouleaux. En pleine nature ! Vous voilà sur le sentier éducationnel de Pääsküla. Quel calme ! En pleine semaine, il n’y a personne ici, ou presque. Je n’arrive pas à croire que nous somme techniquement encore en ville. On n’entend que les pins qui bruissent dans un petit vent et quelques oiseaux qui piaillent. C’est la vraie forêt du Nord ! A plus ou moins mi-chemin, en suivant le sentier, vous arriverez à la tour d’observation. Grimpez-y pour découvrir le paysage aux alentours : une immense mer couleur vert sapin en été (ou blanc de neige en hiver) à perte de vue. Ça donne une idée de qu’est l’Estonie à certains endroits : une suite infinie de forêt boréale qui est à la fois belle, solennelle et un peu inquiétante.
Enfin, on arrive à la partie « marais » du sentier : on quitte la terre battue pour des caillebotis qui permettent de traverser la tourbière sans endommager la flore. C’est le moment de vous signaler que si vous venez à la fin du printemps ou en été, il faudra vous munir d’anti-moustiques, les marais sont un terrain fertile pour ces sueurs de sang. Sur cet étroit sentier, on est au plus près de la nature. On est entourés de petits arbres et de plantes, la lumière du soleil se reflète sur les eaux sombres du marais, conférant à la tourbière un air de mystère. Tout comme la forêt, les tourbières sont une partie essentielle du paysage estonien aussi, si jamais vous n’aviez que peu de temps et que vous ne pouviez pas visiter ceux du Parc national de Lahemaa (j’y reviendrai dans un autre article) ou de Parc national de Sooma, n’hésitez pas à venir ici pour y passer l’après-midi car qui n’a jamais traversé un marais n’a jamais vraiment visité l’Estonie. Pour le retour, prenez le bus depuis l’arrêt « Hiiu » jusqu’au centre de Tallinn.
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