Voyage au Svalbard : le jour où j’ai fait du chiens de traîneau près du Pôle Nord

Il est 8 heures. Depuis que je suis arrivée au Svalbard, je ne me suis jamais levée aussi tôt. Pour profiter du peu de lumière de milieu d’hiver, les horaires des activités commencent assez tard (10 heures, 11 heures, voire midi) mais l’aventure qui m’attend nécessite de faire un petit effort. C’est bien peu demander quand on va réaliser un vieux rêve !

Enfin, il fait beau sur Longyerbyen ! Les quelques nuages bas se sont éclipsés le soir.  A la table du petit-déjeuner, un pensionnaire allemand me montre fièrement son ordinateur : « Tu as vu l’aurore boréale d’hier? ». NONDEDJALLEDENOMDEDJALLE! Je hurle intérieurement. Je suis allée jeter des coups d’œil réguliers à la fenêtre de la cuisine jusqu’à minuit pour voir si jamais, les danseuses du ciel n’apparaîtraient pas et rien et rien. « Oh, elles sont arrivées vers une heure du matin » me dit jovialement mon Allemand avant de se replonger dans ses photos. Le seul jour où je devais aller me coucher tôt… Il semble que je sois maudite de l’aurora borealis (fast forward en 2019, j’en ai enfin vues)!

Je ne reste pas fâchée trop longtemps, ce qui m’attend ce matin n’est pas mal non plus.  On ne tarde pas à venir me chercher. Pendant que je patiente, j’ai le temps de me rendre compte qu’il fait froid, beaucoup plus froid que les autres jours. Un petit -15 C°, sans vent… parfait pour conduire mon propre traîneau tiré par des chiens !

Cours avec les huskies

Première étape : l’équipement. Avant d’aller au chenil de Svalbard Husky, le prestataire spécial traîneau de Svalbard Wildlife Expeditions, il faut que nous portions tous des combinaisons rembourrées, pour nous protéger du vent. Évidemment je suis la plus maladroite, donc la dernière à sortir des bureaux de Svalbard Huskies. Je me sens comme un bibendum, gonflée mais pas seulement à cause du nombre de couches que j’ai sur le dos… non…. C’est plutôt une sensation de légèreté qui m’habite pendant que le 4×4 roule dans un paysage blanc : le genre de légèreté qui vient de l’anticipation, de l’excitation, qui fait que vos pieds semblent ne pas toucher terre.

Nous y voilà, à la porte d’Adventdallen. A l’entrée, je vois les niches des grands chiots. Les petits sont bien au chaud, je ne les verrais pas mais c’est du côté des adultes que nous nous dirigeons. Les chiens, eux, ont tout compris. Au moment où nous sortons des voitures, c’est un concert de jappements et d’aboiements ! Combien y a-t-il de toutous ici ? C’est certains, ils ne sortiront pas tous.

Pendant que les guides préparent tout le matériel, nous sommes invités à faire le tour des niches et nous familiariser avec les chiens. Je me précipite presque sur un husky tout blanc qui se tortille au bout de sa chaîne en me regardant. Je suis presque mise par terre par la force de la chienne, puisque c’est une femelle. Pas de nom sur sa niche, mais je me fais littéralement nettoyer le visage pendant que je la caresse. C’est pareil pour presque tous les chiens ici, la sociabilité à la fois avec d’autres chiens et les humains de tous âges est une des caractéristiques les plus importantes des chiens de traîneau.

Je me dirige vers un autre chien, une femelle qui a l’apparence d’un husky classique (tous les chiens du chenil sont des huskies d’Alaska). Elle est superbe et là aussi, on me fait fête ! Ce n’est que coups de museau dans les jambes et petites léchouilles. Felice, puisque c’est son nom, a envie de courir. Je la sens trembler, mais ce n’est pas de froid, c’est l’excitation. L’excitation de peut-être pouvoir courir dans la neige, enfin dégagée de sa chaîne, libre. J’entends un cri de rassemblement, c’est Thomas, le chef d’expédition, qui nous appelle pour le briefing. Et pour commencer, il nous enseigne quelques bases de la conduite

  1. Ne jamais quitter la barre des mains ;
  2. Toujours garder un pied sur les freins et
  3. Comment atteler les chiens.

Comment monter l’attelage d’un traineau tiré par des chiens ?

Je ne serai pas seule à guider mon traîneau, chacun à son tour des participants vont être à la fois le musher, et le passager (pour que les chiens aient la sensation de tirer quelque chose).

On me place en duo avec une dame d’une cinquantaine d’année. On dirait qu’elle sait ce qu’elle fait. Comme la majorité des Norvégiennes, elle a l’air sportive et du genre à passer beaucoup de temps dehors. Sauf que non ! Ma compagne de traîneau n’a pas l’habitude des chiens et encore moins des traîneaux. Elle a même un peu peur… c’est donc moi qui suis en position de force. J’ai juste envie de rire… si elle savait ! Du coup, ce sera à moi de faire la première rotation de conduite du traîneau. Mais avant, il faut que nous allions chercher nos chiens, 3 chacune, les attelages étant composés de deux chiens de tête, deux au milieu et deux en arrière. Et on commence par les chiens de tête. Le traîneau bien arrimé avec une ancre, je vais à la recherche de la première heureuse élue : Jacklyn. C’est une petite chienne noire, qui se tient tranquille dans sa niche pleine de paille. Elle avait plutôt l’air de vouloir se reposer mais descend tout de suite dès que je l’appelle. J’essaie d’être délicate pour enfiler son harnais mais ma maladresse naturelle et les gants n’aident pas. J’ai peur de faire mal à la pauvre bête, de l’impatienter… mais Jacklyn se laisse faire complaisamment. Finalement, une fois son harnais placé, je n’ai plus qu’à l’amener et à l’attacher à la sangle du traîneau. Ce n’était pas si terrible !

Avec un peu plus de confiance, je vais chercher Gandhi, le chien suivant. Celui-là est plus solide… un beau mâle noir et feu au caractère placide mais si musclé que j’ai eu un peu de mal à faire passer son harnais. Ah ben, non. Ce n’est pas si facile que ça ! Pendant que j’essaie de ne pas m’emberlificoter, Gandhi semble me regarder avec le dédain qu’on réserve aux bleus quand on est un habitué. Enfin, j’arrive à mes fins et emmène péniblement le chien à sa place. Mais pas sans mal. Sous ma combinaison, je crève de chaud… Reste le dernier chien, Bodø, un magnifique gaillard encore plus gros que Gandhi, au pelage beige… Il est tellement puissant que j’arrive à peine à le traîner une fois le harnais installé. Finalement, ce sera Thomas qui l’attellera au traîneau. Je suis littéralement sommée de mettre à la tête de mon équipage dès que les chiens sont tous en place. C’est que ça pourrait leur donner un faux signe de départ. Et en effet, les chiens jappent, aboient et sautillent d’impatience. Ils savent, bien sûr ! Ils vont faire ce qu’ils aiment : courir dans la neige !

Je monte sur le traîneau sans broncher, agrippe fermement la barre… Et réalise que j’ai oublié de mettre ma GoPro sur mon crâne. Je suis mortifiée !!! Impossible de dégager une main pour aller la chercher dans la poche de ma combinaison. La perspective de n’avoir aucun autre souvenir que celui qui va s’inscrire dans mon crâne de piaf me désespère presque. Par chance, mais je pourrais au moins filmer au retour. Le hasard nous a placé mon équipière et moi juste après le traîneau de Thomas, ce qui me rassure. Après un bon cinq minutes, l’ordre est donné de « lever l’ancre », un cri de départ s’élève dans l’air glacé et dans un grand mouvement collectif, la caravane s’ébranle.

Filer sur la neige

« Utilise les freins, utilise les freins » hurle Thomas. Nous n’avons pas fait 100 mètres que je me fais déjà engueuler ! La petite pente au sortir du chenil nous a fait atteindre de la vitesse et mon attelage pourrait bien dépasser le sien, ce qui serait dangereux ! J’appuie de tout mon poids sur la barre qui sert de frein… mais les chiens qui viennent à peine de partir n’ont tout de même pas envie de déjà ralentir. Quand Thomas stoppe carrément, je m’inquiète ! Finalement, c’est mon équipière qui arrive à les freiner en s’aidant de ses pieds. Mais ce n’est pas vers nous que se dirige notre chef d’expédition, mais vers d’autres attelages. Composer une équipe de chiens est un art et une science : et il faut connaître le caractère du chien, ses affinités, ses points forts… et comme certaines chiennes sont encore en chaleur, ça peut causer des problèmes… il faut revoir en dernière minute la composition de certaines équipes. Après ce faux départ, nous retrouvons « la route » ou plutôt, la piste. Devant nous, l’immense Adventdallen s’étend, son fond plat parfait pour du ski de fond et pour la course en traîneau. Les montagnes qui encadrent la vallée glacière lui donne l’apparence d’un livre de pop-up géant… Et le soleil, enfin le soleil qui illumine le panorama, pose des touches d’ombres et de lumières, comme un Caravage au travail.

Et tout est silence… ou presque. On entend juste le glissement du traîneau sur la neige, les pas et les halètements des chiens qui foncent droit devant eux. Finalement, c’est assez simple quand on suit ! Il suffit de maintenir au moins au pied sur le frein et jouer de son corps pour maintenir l’équilibre du traîneau. S’il est déstabilisé, les chiens vont vous le faire sentir. Si vous en voyez un se retourner pour voir ce qui se passe, c’est qu’il est temps de rééquilibrer le traîneau. La sensation est merveilleuse. Ça va moins vite que je ne l’aurai cru mais être dans un paysage aussi grandiose, sentir le vent glacé sur son visage alors que l’on se sent bien au chaud dans la combinaison, entendre le bruit des huskies… C’est unique. Et inoubliable.

Pendant une petite heure, nous nous baladerons, discutant avec ma passagère. Une heure hors du temps., jusqu’à ce que nous opérions un demi-tour. Je deviens à mon tour passagère et m’installe confortablement sur la peau de renne qui tapisse le traîneau et je peux commencer à photographier. Le paysage est totalement différent de ce côté-ci, l’horizon est plus fermé, bouché par l’absence de soleil… la neige envoyée par le traîneau et les chiens m’empêche de prendre plus de photos restent ces quelques minutes de bonheur prises depuis le traîneau.

Je suis contente mais seigneur, que j’aurai aimé continuer à conduire. Moi qui avais peur, qui pensait que mes deux mains gauches allaient certainement nous faire nous retourner dès la première bosse ou le premier tournant !

Mais comme l’excès de confiance chez moi est très vite suivi d’une remise à ma place, une fois rentrée au chenil, il faut ramener les chiens à leurs niches. Et quand vient le tour de Gandhi, je me retrouve déséquilibrée et littéralement traînée par le husky dans la neige, la main encore fermement autour du collier du chien (pauvre Gandhi) pour ne pas qu’il s’échappe. Étalée dans la neige, alors qu’on accourt pour m’aider, je n’ai plus qu’à méditer sur le fait que je ne suis sans doute pas l’aventurière que je pensais être. Et tu sais quoi, Lectrice, Lecteur ? Même si mon orgueil en est un peu piqué, je peux me féliciter d’essayer, encore et toujours.

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Cet article a 5 commentaires

  1. Emy - The Flying Dutchwoman

    Ça avait l’air bien chouette 😀 On voulait en faire en Laponie et pour des raisons médicales, on n’a pas pu, mais tes photos et ton récit me donnent encore plus envie!!

    1. Melissa

      Oh oui… et on s’attache si vite aux chiens ! Ils sont vraiment adorables… ben… au Canada, les chiens de traîneau, possible, non? 😉

  2. Travelski

    Merci pour ce billet et le partage de cette expérience hors du commun .

    1. Melissa

      Vraiment une expérience dont je rêve encore…

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